Pourquoi lire de Charles Dantzig

 

Pourquoi lire ? Voici la question que se pose Charles Dantzig, écrivain français, auteur de romans, poésies et essais, juriste de formation et passionné de littérature. « Pourquoi ? »,   question si simple que posent tous les enfants avides de compréhension et qui aide à découvrir le monde. Question que nous adultes policés oublions trop souvent de poser. Charles Dantzig part d’une évidence. Il lit comme il marche, il lit en marchant, allant jusqu’à se cogner aux horodateurs de la ville de Paris à qui il adresse des « Pardon Monsieur ». Lire est pour lui un acte aussi spontané que celui de marcher. Et parce que c’est spontané, il décide d’y réfléchir, de creuser cette question et nous entraîne dans les méandres de sa réflexion sur le pourquoi de la lecture littéraire.

L’adverbe qui caractérise le plus Pourquoi lire de Charles Dantzig est « spontanément ». Il lit et écrit spontanément, passant d’une idée à l’autre par associations d’idées en suivant les rebondissements de sa pensée. Et c’est donc très agréable pour le lecteur de se laisser happer dans cette réflexion intérieur sur la lecture dans laquelle on ne maîtrise ni la trajectoire, ni l’aboutissement.

Au fil du livre, découpé en chapitres, le lecteur progresse dans sa construction de son identité de lecteur, en découvrant les bonnes et mauvaises raisons de l’acte de lire la littérature. Ainsi on lit pour comprendre le monde,  pour se comprendre car tout lecteur est égoïste mais pas forcément narcissique. « Il n’y a pas plus égoïste qu’un lecteur » (p. 24) Il faut donner des lectures qui ne sont pas de leur âge aux enfants car ça éveille leur « acuité esthétique » (p. 20), mais certaines lectures peuvent être nocives à certains moments de notre existence comme La fêlure,  de Francis Scott Fitzgerald, « quand on est au bord de la dépression » (p. 19) et Mein Kampf, d’Adolf Hitler, « quand on a perdu son emploi depuis des années dans un pays à forte inflation » (p. 19) ! Il y a des moments où il est bon de lire un livre et d’autres pas, le lieu de la lecture a son importance. On peut « lire pour s’isoler », « lire pour la jouissance » (p. 90), « lire pour dépasser la moitié du livre » (p. 51), « lire pour ne plus être reine d’Angleterre » (p. 55), « lire pour se masturber » (p. 61) ou « lire pour ne pas laisser les cadavres reposer en paix » (p. 36). ..

J’ai aimé lire Pourquoi lire ? parce que c’est une exploration du moi de lecteur de Charles Dantzig qui nous renvoie à notre propre « moi » de lecteur.  Je me souviens m’être posée cette question « pourquoi lire » assisse les jambes allongées sur un banc niché dans une alcôve de la Sorbonne alors que j’étais étudiante de lettres modernes en première année. Je lisais pour m’évader dans d’autres mondes, d’autres temporalités et pour créer un balancement entre la vie réelle et la vie romancée. Et je recherchais un équilibre entre mon moi intérieur et mon moi extérieur.  J’aimais particulièrement les romans faisant partis d’un vaste édifice comme La Comédie humaine de Balzac et Les Rougon-Macquart d’Emile Zola pour cette immersion dans un monde littéraire que je retrouvais romans après romans.  Aujourd’hui d’autres motivations se sont ajoutées aux premières motivations. Je lis pour pénétrer la pensée d’un auteur et en comprendre tous ses méandres. C’est ainsi que je me suis lancée l’an passé dans la lecture de l’oeuvre intégrale d’Eric-Emmanuel Schmitt et cette année dans celle de Victor Hugo. Je lis pour devenir plus forte car je considère qu’il y a des trésors dans les oeuvres littéraires que l’on peut dénicher au fil de ses lectures , les conserver et les relire régulièrement. Je lis par défi de lire toute l’oeuvre d’un auteur. Je lis également pour découvrir et confronter tous les systèmes de pensées.

Et vous pourquoi lisez vous ?

Pourquoi lire ? de Charles Dantzig est un livre que j’ai lu avec beaucoup de plaisir et que j’ai déjà envie de relire. C’est un livre qui ouvre des portes vers d’autres lectures. J’y ai découvert le genre  de l’interview littéraire dans le chapitre « lire des interviews » (p. 211). Et j’ai donc maintenant très envie de lire Enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret, le fondateur du genre de l’interview littéraire ainsi que la collection « Conversation with… » de l’université du Mississipi.

Morceaux Choisis

« Pourquoi je lis ? Je lis comme je marche, sans doute. D’ailleurs je lis en marchant. Si je vous racontait le nombre de rencontres que j’ai faites grâce à ça ! Plus d’un horodateur de Paris a été ému de m’entendre lui dire « pardon monsieur » après que je m’étais cogné à lui en lisant un livre ou un autre. Au reste, ce n’est pas parce qu’on fait une chose aussi spontanément que marcher ou lire qu’il est inutile d’y réfléchir. La spontanéité ne légitime pas tout. Il y a des meurtres spontanés. » (p. 9)

« Une définition de la littérature pourrait être : « Tentative de formulation de l’informe ». Tout livre, même de la fiction, est un essai, dans la mesure où il cherche a avoir une forme. Dans l’informe de la vie, il prend, rejette et classe, et c’est cette formalisation qui apporte du sens. Le lecteur face au flasque, lit pour deviner les formes multiples du monde. » (p. 74)

« Les gens qui ne lisent pas ignorent l’exaltation que l’on peut ressentir dans une librairie. Ils n’ont pas idée qu’un commerce aussi calme, où vendeurs et acheteurs sont chacun de leur côté, puisse être autre chose qu’ennuyeux. Tant mieux, ils ne se rendent pas compte que c’est un endroit très dangereux pour l’opinion qu’ils se font de leur importance. Dans les librairies, on comprend que les rois de jadis aient eu les plus grandes hésitations à autoriser l’imprimerie. Des gens, qui seuls avec un autre, pensent sans contrôle ! Ces clients qui ont l’air si calmes, si recueillis, des girafes broutant lentement des feuilles, sont des boules de passion à l’intérieur desquelles ça bout, ça bondit, ça bande. » (p. 185)

Que lire après ?

• Dictionnaire égoiste de la littérature française de Charles Dantzig, 2005.
• Enquête sur l’évolution littéraire, Jules Huret, 1891. [texte en ligne]
• Les livres de la collection « Conversation with… » paru chez University Press of Mississippi par exemple :
  • Conversations with William Faulkner (Literary Conversations Series), M. Thomas Inge, 1999.

 

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